« La direction refusait de nous laisser entrer »

16/10/2020 Bonjour à toutes et à tous,

La direction refusait de nous laisser entrer, vu le nombre que nous étions à nous pointer peu avant la fermeture.

Mais nous avons fait un peu de forcing et sommes passé·e·s quand même.

Déjà des caissières rouspétaient en arguant qu’elles allaient faire des heures supplémentaires à cause de nous.

J’ai commencé à remplir mon sac à dos méthodiquement, pâtes fraîches, légumes bio, dattes, les meilleurs fromages secs aussi.

Attendant que l’on me serve au rayon boulangerie, j’en repartis peu après, car il y avait trop de monde, et la vendeuse qui s’énervait…

Mon sac plein de denrées alimentaires de base, j’en remplis un deuxième tout aussi rapidement.

Personne à l’intérieur du magasin ne savait encore ce que nous venions de vivre, et nous ne voulions surtout pas créer un mouvement de panique.

Il nous avait déjà fallu rallier le gymnase, où les enfants attendaient au sec et en sécurité, à la grande surface la plus proche… manger…

J’essayais en vain d’effacer de mes yeux la longue colonne noire tourbillonnante s’abattant sur l’horizon.

Il ne restait plus rien, tout avait été dévasté.

Alors, comme tant d’autres familles, nous avions pris la route pour fuir à des kilomètres de la catastrophe.

Maintenant, le malaise commençait à monter dans le magasin.

La vendeuse du rayon boulangerie avait subitement abandonné son poste.

Avant que tout le monde ne dévalise le rayon, je m’empressais de fourrer plusieurs pains dans mon sac.

Oui, c’était bien une scène de pillage qui était maintenant en train de s’organiser.

Passant par le rayon animalerie, je pris soudain pitié d’une petite souris blanche apeurée.

Et d’un innocent chaton qui tous deux allaient sans doute périr abandonnés dans leurs cages.

Fourrant l’un et l’autre dans deux poches de mon anorak, je pensais qu’ils feraient la joie des enfants, après tant d’horreurs

Comme je n’avais plus le temps d’acheter de la nourriture pour les bêtes, j’en conclus que nous improviserions.

Déjà, ils s’étaient blottis au fond de leur cachette, sans doute plus en sécurité que dans le magasin bruyant et saturé de spots agressifs.

Malgré mes bonnes intentions du départ, ce fut sans préméditation que je m’engouffrais dans une issue de secours pour sortir.

Vite, m’échapper, sans passer par les caisses, à toute vitesse… en suivant les autres.

A l’extérieur, une jeune caissière, sortie du magasin précipitamment, s’était faite prendre à partie par un gamin surexcité.

Le directeur, fou furieux, dégommait le gosse à grands coups de pompes.

C’est précisément un pied qui roula jusqu’à moi, alors que je repartais bien chargée, mes deux sacs pleins et un troisième dans les bras.

Je tentais, en vain, de convaincre l’homme d’arrêter le massacre, lui criant qu’il s’agissait d’un gamin…

Maintenant, il me fallait rassembler toutes mes forces pour remonter la côte et rallier le gymnase.

Au trois quarts du parcours, épuisée, je décidais cependant de prendre quelques instants de repos.

Le hasard fit alors que je me posai devant une grande maison, lumières éteintes et totalement silencieuse, dont je poussais la porte sans difficulté.

Mais lorsque des voix se rapprochèrent, je ramassai en hâte mes affaires étalées sur un lit.

Beaucoup de personnes maintenant convergeaient vers la maison, descendant par vague de la butte où je devais me rendre.

Profitant de la masse et de l’obscurité, je pus m’éclipser incognito.

Croisant la maîtresse de maison, elle remarqua simplement que certains ont fait des affaires au vide grenier !

Voilà donc d’où tous ces gens rentraient…

Mais moi, venant juste de déplier la canne à pêche pour l’admirer, j’étais en effet repartie avec celle-ci en kit dans les bras !

La pluie avait commencé à tomber dans la pénombre, un sinistre ressenti m’envahit.

Un homme, remontant lui aussi la côte, me vint en aide pour mettre en fuite un roquet très agressif qui tentait de me mordre.

Sans doute avait-il flairé la présence des deux animaux dans mes poches…

Pour me motiver, je pensais à la joie de mes kids decouvrant les cadeaux que j’avais pris le temps de glaner pour eux.

Cela m’aidait aussi à chasser de mes pensées l’incertitude absolue des jours à venir.

Était-ce le cyclone en préparation sur le Sud de l’Inde qui brouillait mes pensées ?

Était-ce un remake de mes dernières démarches administratives ?

Lorsque j’ouvris péniblement un oeil, puis deux, il me fallut quelques secondes pour revenir à la réalité.

A 3:00 du matin, j’étais étalée complètement en travers du lit, le poignet endolori par la pression de mes bracelets sur la peau.

J’aurais pu rêver d’un meilleur réveil.

Bien à vous,

Isabelle