« Le joug de ma mère »

09/02/2018 Bonjour à toutes et à tous,

Quand elle m’a montré fièrement le joug qu’elle entreposait chez elle ; non, il n’était même pas accroché quelque part, juste posé sur le sol entre le mur et la table, j’ai fait la moue.

Ben non, je ne trouvais pas ça beau, je ne le trouvais même rien, désolée de la décevoir…

D’un coup, ça m’a rappelé les étranges délires de ma mère, lorsqu’enfants, nous passions nos vacances estivales en famille dans des bleds du trou-du-cul-du-bout-du-monde-isolés-de-tout-mais-pas-chers-du-tout 🙂

Un joug ! Elle cherchait un joug en vain ! Où que nous allions, Creuse, Puy de Dôme, Cantal… elle voulait dénicher un joug !

Et puis dans la Creuse, bizarrement, je me souviens qu’elle cherchait… une tuile.

Ah oui, jusqu’à l’obsession, hein, elle voulait ramener une tuile… elle remuait des tas de terre, fouillait des bâtiments effondrés…

D’ailleurs, je ne me souviens même plus si elle a trouvé son joug et sa tuile 🙂

L’histoire me revient, des décennies après, alors que je rassemble certains morceaux du puzzle de mon histoire.

Et que je suis plongée corps et âme dans le fascinant livre d’Aldo Naouri, Les filles et leurs mères.

En plusieurs étapes.

Mon dieu, délivrez-moi des tuiles et du joug de ma mère.

Le joug de ma mère, celui qu’elle cherchait à me faire porter ?

Celui qu’elle portait ?

Incroyable comment mes yeux intérieurs, ceux de l’inconscient, s’ouvrent ce jour après une nuit de décantation.

Il y a des chercheuses d’or, et des chercheuses de tuiles et de joug, chacune son truc.

Non, je n’ai pas été une fille digne de sa mère, j’ai plutôt été une fille indigne et je l’assume 🙂

J’ai pris sans cesse la tangente, les chemins de traverse pour échapper à ses mises en scène, pour ne pas lui ressembler, sainte parmi les saintes.

Non, je ne serai pas sainte comme elle, et encore moins nonne ou sujette aux apparitions.

Même si elle a curieusement glissé un jour dans mes lectures Le journal de Conchita, une histoire qui ne m’avait pas plus convaincue que convertie 🙁

Cela éveilla chez moi plutôt quelques soupçons sur… son état mental.

Etre telle que MOI, je voulais être, et non pas son clone, sa copie conforme, désir secret des mères bien gardé et transmis, que je découvre avec effroi au fur et à mesure de ma lecture.

Schéma fidèle lui-même à l’héritage laissé par sa propre mère, on assoit son pouvoir de mère en fille.

Bien que je fus celle désirée par le choix de ma mère, dans la sororie, pour assurer cette transmission de mère à fille, je m’y suis opposée de tout corps et de toute âme.

VOULOIR est de l’ordre de la conscience, DÉSIRER est de l’ordre de l’inconscient, merci Mr Naouri de bien faire le distinguo.

Survivre à la névrose (aux névroses) d’une mère toxique grâce… aux livres, c’est possible.

Très jeune, épuisant des rayons entiers de bibliothèque, je cherchais des issues de secours, sans doute plus animée par la volonté de ne pas me laisser détruire que par celle de m’instruire…

Je rigole encore en réalisant qu’alors âgée d’une dizaine d’années, j’avais trouvé bien peu d’éléments de réponse à mes questionnements après avoir parcouru pratiquement tous les bouquins de la bibliothèque jeunesse locale !

Tout au plus les biographies et la collection entière des Contes et légendes m’avaient-ils apporté quelques pistes de réponses, bien autant que les bouquins de bricolage dont je raffolais, on se demande pourquoi 😉

J’ai alors eu exceptionnellement droit d’accès à une bibliothèque réservée aux adultes ; c’était comme ça à l’époque, et ainsi étancher ma soif de savoirs dans la cour des grands.

Celle ou celui qui n’a jamais lu ignore tout ce dont un livre est capable.

Il y a, derrière la compréhension immédiate liée au déchiffrage des mots, un message bien plus subtil, et qui s’échappe entre les lignes, car il s’adresse à l’inconscient, notre capacité de pensée et d’analyse étant des fois bien limitée 😉

Et là, la magie opère, si je puis dire.

Intimement convaincue que nous avons toutes et tous, comme la nature, des ressources nombreuses et inestimables, des trésors enfouis en nous, pour arriver à grandir à la lumière du jour.

Bien à vous,

Isabelle